"De la conquête"
Projection-débat
De la conquête est le film le plus dur de Franssou Prenant, et paradoxalement aussi le plus doux. Dur quand sa bande-son est occupée par les voix récitant les textes, les uns écrits par des militaires, certains inconnus (deux grenadiers) quand d’autres sont encore célébrés aujourd’hui (comme Bugeaud et Saint-Arnaud), les autres rédigés par des civils inconnus ou bien connus (Alexis de Tocqueville, Jules Michelet, Victor Hugo, Ernest Renan), qui convergent dans le consensus d’une vaste entreprise coloniale qui a assumé ses horreurs en y accolant le projet d’exterminer.
Alger qui comptait alors cinquante mille âmes n’en compte plus que vingt mille une vingtaine d’années après sa conquête. La population indigène se voit, elle, amputée de son tiers quand la guerre coloniale s’achève après les émeutes kabyles des années 1870.
La conjonction et l’agencement d’images contemporaines de l’Algérie et de Paris, avec des textes d’acteurs multiples de la conquête de ce pays par la France à partir de 1830, me permet de rendre visible et audible, manifeste j’espère, cette conquête qui a mené à la destruction d’une partie de la population de l’Algérie, de sa culture et de sa civilisation.
De 1830 à 1848, les dires et écrits de personnages plus ou moins illustres (et illustrés) de la France du XIX e sont confrontés à des images récentes de ces deux pays, deux mondes.
Doux, le film l’est pourtant quand la bande-image s’offre aux faits quelconques de la vie quotidienne, hommes rassemblés sur les places et enfants de retour de l’école, chats dans les ruelles et badauds flânant dans les marchés. Une vie qui est la vie malgré tout, malgré l’horreur des violences ayant présidé à sa naissance. Si le son est du côté de la mort, l’image l’est du côté de la vie qui y résiste.
Texte de François Biberkopf